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06/06/2022
Url de référence : Le grand chamboulement
Copyright : Challenges
Signature : Gilles Fontaine
 
 
Départ de Sophie de Closets de Fayard : le grand chamboulement de l'édition française a commencé
 





Le départ de Sophie de Closets de la présidence de Fayard, est un tournant pour le monde de l'édition. A quelques semaines du début de l'OPA de Vivendi sur Lagardère, il marque le début de la grande restructuration du secteur.
 
La nouvelle est tombée jeudi soir, dans un communiqué laconique: "Désireuse d'aborder une nouvelle phase de sa carrière, Sophie de Closets quitte la présidence des éditions Fayard." Après dix-huit années de fidélité au groupe Hachette, propriété de Lagardère, l’une de ses dirigeantes emblématiques tire sa révérence au lendemain de la publication d’un article dans le journal Le Monde, dévoilant les pratiques de chasse aux sorcières auxquelles se livrerait depuis plusieurs mois l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, aujourd’hui administrateur de Lagardère à l’encontre de plusieurs manager du numéro 1 français de l’édition, notamment Sophie de Closets et Olivier Nora, PDG des éditions Grasset.
 

A quelques jours de l’ouverture de la London Book Fair, grand rendez-vous européen de l’édition, et à trois semaines du début de l’OPA de Vivendi, le 14 avril, sur Lagardère, ce départ claque comme un coup de tonnerre dans un ciel clair. Et semble donner le signal de départ à une vaste recomposition du secteur français du livre. Déjà détenteur de 45% de Lagardère via Vivendi, contrôlé à 27% par son groupe, Vincent Bolloré veut mener rapidement l’opération d’acquisition pour mener son grand projet de géant international de l’édition. Déjà propriétaire d’Editis, le numéro deux de l'édition en France avec 725 millions de chiffre d’affaires, Vivendi absorberait Hachette le numéro un tricolore et numéro trois mondial avec 2,6 milliards de chiffre d’affaires en 2021, dont 850 millions en France.
 
Deux cultures opposées
 

Les manœuvres de Vincent Bolloré dans l’édition provoquent évidement l’émoi à l’intérieur du groupe Hachette et de ses 7.700 collaborateurs. "Le groupe est en deuil depuis le départ de son patron Arnaud Nourry, remercié par Arnaud Lagardère il y a un an, décrypte un ancien dirigeant du groupe. Il avait constitué un pack d’éditeurs qu’il avait formé, aidé, adoubé… et qui n’éprouvent aucun attachement à l’équipe actuelle de direction d’Hachette." Entre les deux champions français de l’édition, deux cultures s’opposent: "Les éditeurs d’Hachette sont plus sexy que ceux d’Editis, ils sont mieux intégrés dans le monde de la culture parisien", estime un bon connaisseur des deux maisons. Et les rumeurs vont bon train sur les possibles défections de certains managers. Après le départ de Sophie de Closets, qui pourrait, selon plusieurs sources, prendre la direction de Flammarion, Olivier Nora pourrait lui aussi prendre le large.
 

Cette fusion ne manque pas de soulever les craintes et la colère des concurrents, au premier rang desquels Antoine Gallimard, qui a eu l’occasion, mi-février, devant les parlementaires, de détailler les parts de marché que détiendrait le nouveau mastodonte dans certains domaines: "84% du livre parascolaire, 74% du scolaire... En littérature poche, ce serait autour de 65%. Donc c'est énorme", a détaillé le patron de Madrigall, numéro trois du marché français, qui regroupe notamment Gallimard et Flammarion. Le tourisme pourrait aussi poser un problème, tout comme la distribution: la fusion d’Hachette et Editis créerait un nouvel acteur qui raflerait 60% du marché. Il mettrait en outre la main sur les plus grosses ventes de l’édition française: Guillaume Musso et Virginie Grimaldi, ainsi que l'éditeur de la superstar Astérix, Albert René, tomberaient ainsi dans son escarcelle.
 
Outils de softpower
 

Très avares de ses déclarations publiques, Vincent Bolloré, a tout de même exprimé sa vision, devant la Commission d’enquête parlementaire sur la concentration dans les médias: il apprécie tout particulièrement la dimension internationale d’Hachette qui ne réalise qu’environ un tiers de son chiffre d'affaires en France. L'homme d'affaires a mis en avant son ambition culturelle mondialisée: "Un groupe capable de proposer à un auteur français de traduire son œuvre à l'étranger, de l'adapter en série ou en plus petits éléments digitaux pour les passer sur Dailymotion, Canal ou autre, me semble être un sujet passionnant pour ce fameux softpower, qui reste très important pour la France."
 

Mais pour réaliser ce grand projet, il faudra que Vivendi fasse le tri entre les différentes maisons d'édition à conserver et à céder. Pour Conor O'Shea, analyste financier qui suit le groupe pour Kepler Cheuvreux, "le plus vraisemblable est qu'il vende les activités françaises d’Hachette ou les segments dans lesquels les deux groupes ont une part de marché supérieure à 50%", c’est-à-dire le livre scolaire, les dictionnaires et les livres de poche. "Il aime les activités médias pour leur capacité à générer de la trésorerie rapidement et leur croissance stable, rappelle l'analyste. En s'offrant Lagardère, il veut créer un Bertelsmann français, un groupe familial stable mêlant livres et audiovisuel."
 

Dans ce contexte, les candidats au rachat de bout de l’empire de l’édition se compte sur les doigts d’une main: Média Participations, Albin Michel, Madrigall, épaulé par LVMH (actionnaire de Challenges) qui détient 10% de son capital. Ou encore Actes Sud et quelques outsiders comme le groupe Delcourt qui a récemment ouvert son capital au fonds d’investissement Florac. 

 
Le rôle d'Arnaud Nourry
 

Beaucoup, dans l’industrie s’interrogent également sur les intentions d’Arnaud Nourry, qui s’est rappelé au bon souvenir de quelques acteurs de l’édition, en début d’année, en leur adressant ses vœux où il soulignait sa chance d’être "sans nécessité de travailler et libre de choisir à peu près tout ce qui rentre dans mon agenda". Reviendra-t-il épaulé par un fonds d’investissement ou un grand groupe? Certains ont imaginé un scénario dans lequel l’Espagnol Prisa viendrait faire son marché sur les ruines de l’empire Lagardère, notamment dans le domaine du livre scolaire, où il est déjà très présent. Prisa, dont le capital est détenu à près de 30% par Amber Capital, le fonds britannique qui avait tenté de déstabiliser Arnaud Lagardère. Et le groupe Vivendi à près de 10%. "Prisa n’a pas les moyens", balaye un proche du dossier.
 

Interrogé lui aussi par les sénateurs, Arnaud Lagardère s’est voulu rassurant: "les choses vont bien se passer", a-t-il lancé, promettant que des "solutions" allaient être trouvées pour éviter "des catastrophes" au sein du pôle Hachette. Les conditions brutales dans lesquelles se sont opérés les départs d’Arnaud Nourry, puis de Sophie de Closets ne sont pas de nature à rassurer les esprits.

 
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